Par Bärbel Miemietz — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=104685024

Les sculptures Nanas de Niki de Saint Phalle représentent une révolution technique et esthétique dans l’art contemporain. Ces créations monumentales combinent innovation matérielle et audace visuelle pour donner naissance à des figures féminines d’une puissance expressive remarquable.

Techniques de construction et matériaux

La réalisation des Nanas suit un processus technique rigoureux développé par l’artiste. La structure débute par une armature en grillage métallique qui définit les formes généreuses et les postures dynamiques. Cette ossature est ensuite recouverte de papier mâché appliqué en couches successives, permettant de modeler les volumes et d’affiner les détails anatomiques.

Une fois cette base stabilisée, Niki de Saint Phalle applique la résine de polyester, matériau révolutionnaire pour l’époque qui confère aux oeuvres leur solidité définitive et leur résistance aux intempéries. Cette technique mixte offre une liberté créative totale tout en garantissant la pérennité des sculptures.

Caractéristiques visuelles et esthétiques

Les Nanas se distinguent par leurs formes généreuses qui défient les lois de l’anatomie classique. Ces figures féminines aux silhouettes opulentes arborent des couleurs éclatantes : rouge vermillon, bleu cobalt, jaune solaire qui créent un contraste saisissant avec l’art traditionnel.

Motifs décoratifsSignification
SpiralesMouvement et énergie vitale
CoeursAmour et féminité
ÉtoilesRêves et aspirations

Les postures varient considérablement : danseuses aux bras levés, figures accroupies ou allongées, créant une chorégraphie sculpturale qui respire la joie de vivre et la liberté. Les dimensions s’échelonnent de 30 centimètres pour les modèles de table jusqu’à plusieurs mètres pour les installations monumentales.

Collaborations artistiques et diffusion

Certaines Nanas intègrent des éléments mécaniques développés avec Jean Tinguely, créant des sculptures cinétiques qui bougent et émettent des sons. Pontus Hulten, directeur du Moderna Museet de Stockholm, joue un rôle déterminant dans leur diffusion muséale internationale, contribuant à leur reconnaissance artistique mondiale.

Elle – Hon : la Nana cathédrale du Moderna Museet

En 1966, le Moderna Museet de Stockholm accueille une création révolutionnaire qui marquera l’histoire de l’art contemporain : Hon (Elle), une gigantesque Nana enceinte de 28 mètres de long, allongée sur le dos, conçue par Niki de Saint Phalle en collaboration avec Jean Tinguely et Per Olof Ultvedt.

Un projet immersif révolutionnaire

Cette oeuvre monumentale présente une particularité saisissante : les visiteurs pénètrent à l’intérieur de la sculpture par une ouverture située entre les jambes de la figure féminine. Pontus Hulten, directeur visionnaire du Moderna Museet, soutient ce projet audacieux qui transforme radicalement l’expérience muséale traditionnelle.

L’intérieur de Hon abrite des espaces fonctionnels surprenants :

  • Un bar pour les visiteurs
  • Un cinéma diffusant des films
  • Une galerie d’art miniature
  • Divers espaces de déambulation

Impact sur l’art participatif et réactions du public

Cette installation marque une étape décisive dans le développement de l’art participatif. Les visiteurs ne contemplent plus passivement l’oeuvre mais l’habitent littéralement, créant une expérience immersive inédite pour l’époque.

La presse suédoise de 1966 évoque un « événement artistique sans précédent » qui « bouscule les codes de la visite muséale »

La portée féministe de Hon suscite des débats passionnés. En invitant le public à pénétrer dans le corps féminin, Niki de Saint Phalle questionne frontalement les tabous liés à la sexualité et à la maternité. Cette oeuvre influence durablement l’art contemporain, ouvrant la voie aux installations immersives et à l’art relationnel des décennies suivantes.

Symbolisme féministe et engagement social des Nanas

Les Nanas de Niki de Saint Phalle transcendent leur dimension artistique pour devenir de véritables manifestes féministes, incarnant la révolte d’une femme contre les diktats patriarcaux de son époque. Ces sculptures monumentales aux formes généreuses défient ouvertement les canons esthétiques imposés aux femmes dans les années 1960-70.

Une révolution plastique au service de la libération féminine

Niki de Saint Phalle transforme ses traumatismes personnels en force créatrice révolutionnaire. Dans son ouvrage « Mon secret » publié en 1994, l’artiste révèle les abus subis dans l’enfance, expériences douloureuses qui nourrissent sa détermination à libérer le corps féminin de toute oppression. Ses Nanas, aux silhouettes opulentes et colorées, célèbrent une féminité assumée, loin des représentations traditionnelles de la femme soumise.

« Je veux que mes Nanas soient libres, joyeuses, qu’elles respirent la vie et défient tous les tabous », Niki de Saint Phalle

L’influence du mouvement féministe des années 1960

L’oeuvre de Saint Phalle s’inscrit dans l’effervescence intellectuelle de l’époque, marquée par les écrits de Simone de Beauvoir et l’émergence des mouvements de libération des femmes. Camille Morineau, historienne de l’art et directrice de l’association Aware, souligne cette dimension politique :

« Niki de Saint Phalle incarne parfaitement cette génération d’artistes femmes qui ont utilisé leur art comme arme de contestation sociale », Camille Morineau

Impact transgénérationnel sur l’art féministe

Les Nanas ouvrent la voie à une nouvelle génération d’artistes femmes, légitimant l’expression de la condition féminine dans l’art contemporain. Cette « super nana féministe » inspire aujourd’hui encore les créatrices qui questionnent les rapports de genre et revendiquent leur place dans le monde artistique.

Diffusion internationale et présence muséale des Nanas

Les Nanas de Niki de Saint Phalle bénéficient aujourd’hui d’une reconnaissance internationale exceptionnelle, avec une présence remarquable dans les plus prestigieuses institutions muséales mondiales. Cette diffusion planétaire témoigne de l’universalité du message artistique porté par ces sculptures emblématiques.

Présence dans les collections internationales majeures

Les Nanas occupent désormais une place de choix dans les collections permanentes des plus grands musées. Le Moderna Museet de Stockholm conserve plusieurs pièces historiques, notamment grâce aux liens privilégiés entre Niki de Saint Phalle et l’institution suédoise. Le Museum of Modern Art de New York possède également des exemplaires significatifs, consolidant la réputation internationale de l’artiste. En France, le Centre Pompidou abrite une collection remarquable, fruit d’acquisitions stratégiques et de donations.

InstitutionVilleOEuvres principales
Centre PompidouParisNanas polychromes, Fontaine Stravinsky
Moderna MuseetStockholmElle – une cathédrale (1966)
MoMANew YorkSculptures monumentales
MAMACNiceSérie des Tirs et Nanas

Le rôle déterminant de Pontus Hulten

Pontus Hulten, premier directeur du Centre Pompidou, a joué un rôle déterminant dans la reconnaissance institutionnelle de l’oeuvre de Niki de Saint Phalle. Ses liens étroits avec l’artiste, documentés dans l’exposition actuelle du Grand Palais « Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hulten » (26 juin 2025 – 4 janvier 2026), illustrent parfaitement cette complicité intellectuelle et artistique qui a favorisé l’intégration des Nanas dans les circuits muséaux français.

Installations dans l’espace public

La fontaine Stravinsky, réalisée en collaboration avec Jean Tinguely et inaugurée en 1983, constitue l’une des installations publiques les plus visitées de Paris. Cette oeuvre collaborative attire plus de 2 millions de visiteurs annuellement. Le Jardin des Tarots en Toscane représente l’aboutissement de cette démarche d’art public, accueillant près de 80 000 visiteurs par an depuis son ouverture.

Héritage créatif et activités pédagogiques autour des Nanas

L’oeuvre de Niki de Saint Phalle continue d’inspirer et d’éduquer les nouvelles générations à travers des programmes pédagogiques innovants développés dans les institutions muséales. Le Grand Palais propose actuellement une série d’activités éducatives spécialement conçues pour accompagner l’exposition « Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hulten », permettant aux jeunes visiteurs de découvrir l’univers coloré des Nanas tout en développant leur créativité.

Ateliers pédagogiques par tranche d’âge

Les programmes éducatifs s’adaptent aux différentes étapes du développement enfantin. Pour les enfants de 2 à 6 ans, les ateliers se concentrent sur l’amélioration de la motricité fine et l’appréhension du travail de la silhouette. Les participants créent leurs propres Nanas en dessinant de grandes silhouettes au crayon à papier sur du papier Canson blanc 180 g/m², puis les peignent d’une couleur unie avant de les habiller avec du papier découpé coloré Vivaldi 240 g/m².

ÂgeObjectifs pédagogiquesMatériels utilisés
2-6 ansMotricité fine, travail de la silhouettePapier Canson, peinture, papiers colorés
7-11 ansNotions de dimensions et profondeurCarton mousse, reproductions d’oeuvres

Ressources éducatives disponibles

Le Grand Palais met à disposition des visiteurs plusieurs outils pédagogiques : un dossier pédagogique de 555,9 Ko, un livret jeux de 376,37 Ko et un guide de visite de 2,1 Mo. L’opération « Places aux jeunes » offre un accès gratuit aux moins de 26 ans, favorisant la démocratisation culturelle. Ces initiatives s’inscrivent dans une démarche d’éducation artistique visant à développer la conscience corporelle et l’expression créative des participants, perpétuant ainsi l’héritage libérateur des Nanas de Niki de Saint Phalle.